Journal de bord d'une passionnée de whisky 2025 - Episode 7
Amatrice de whisky et conseillère au Comptoir Irlandais, retrouvez-moi chaque début de mois pour un voyage au cœur du monde du spiritueux. À travers mes publications, je vous ferai découvrir mes impressions, mes coups de cœur et toutes les connaissances que j’ai acquises sur ces boissons d’exception. Je vous emmènerai également à la rencontre de distilleries fascinantes et vous ferai partager les secrets de leur savoir-faire. Un rendez-vous à ne pas manquer pour les passionnés et curieux du whisky !
Épisode 7 : Voyage au cœur des distilleries américaines : entre légendes, chênes centenaire et whiskies d’exception.
Chaque mois, je me plonge dans l'univers fascinant des distilleries, mais cette fois, je vous emmène avec moi pour un voyage un peu particulier. On va traverser l'Atlantique, s'immerger dans la culture du whiskey américain et découvrir 2 lieux qui ont marqué l'histoire, des histoires qui se sont transformées en légendes et des personnes qui ont façonné le paysage tout entier de ce spiritueux.
Mais avant de nous lancer, un mot sur une vérité souvent oubliée : les fûts de chêne américain. Ils sont bien plus qu'un simple contenant ; ils sont le cœur battant de l'industrie du whisky à travers le monde. La loi américaine exige que le bourbon soit vieilli dans des fûts de chêne neufs. Une fois utilisés, ces fûts ne peuvent plus servir pour un autre bourbon, mais ils sont parfaits pour vieillir les whiskies écossais, irlandais ou japonais. Leur chêne blanc, riche en vanilline, apporte des notes de vanille, de caramel et d'épices douces, essentielles au profil de nombreux whiskies que nous aimons. C'est grâce à cette « seconde vie » que le whiskey américain joue un rôle si important, car il fournit un outil de vieillissement indispensable à l'industrie mondiale du spiritueux.
Buffalo Trace
Buffalo Trace est l’une des distilleries les plus anciennes encore en activité aux États-Unis. Son histoire débute vers 1771, sur une piste empruntée par les buffles et ouverte par le pionnier Daniel Boone. Dès 1812, une distillerie s’installe sur ce site stratégique de Frankfort, au bord de la Kentucky River. Elle prend successivement les noms d’Old Fire Copper puis de George T. Stagg Distillery, avant d’être modernisée à la fin du XIXᵉ siècle. En 1999, après une rénovation de sept ans, elle adopte son nom actuel sous l’égide du groupe Sazerac.
Durant la Prohibition, Buffalo Trace fait partie des rares distilleries à survivre grâce à une licence lui permettant de produire du bourbon médicinal. Ce privilège lui a permis de préserver ses savoir-faire, là où beaucoup de ses voisines ont disparu. Cette continuité lui vaut aujourd’hui le statut de National Historic Landmark et une reconnaissance mondiale, confirmée par de nombreux prix.
La distillerie a été marquée par des personnalités fortes. E.H. Taylor Jr. fut un pionnier de la modernisation du bourbon, tandis que Harlen Wheatley, maître distillateur depuis 2005, a lancé un ambitieux plan d’expansion de 1,2 milliard de dollars, ouvrant la voie à des cuvées emblématiques comme Eagle Rare 12 ans. Les femmes ont également joué un rôle important : Bettye Jo Boone Estep a contribué à moderniser la production dans les années 1970, et Peggy Noe Stevens, fondatrice de la Bourbon Women Association, collabore régulièrement avec Sazerac.
Sur le plan technique, Buffalo Trace reste fidèle aux fûts de chêne américain neuf, brûlés à l’intérieur. Ses entrepôts chauffés à la vapeur assurent un vieillissement homogène, tandis que Warehouse V accueille chaque millionième baril produit et que Warehouse X sert de laboratoire expérimental, explorant lumière, humidité et variations climatiques.
Le décor est tout aussi marquant : bâtiments de briques rouges, entrepôts du XIXᵉ siècle et proximité de la rivière Kentucky composent un paysage authentique. Bien que la distillerie ait choisi de ne pas intégrer le Kentucky Bourbon Trail, elle attire des visiteurs du monde entier, contribuant largement à l’économie locale.
Sa gamme reflète une volonté d’équilibre entre accessibilité et prestige. Le Buffalo Trace Bourbon, reste un classique abordable. Le 90 Proof utilise une ancienne recette créée en 1999 par la distillerie. Le classique Buffalo Trace est une référence pour les amateurs de Bourbon. Le Sazerac; un Straight Rye qui incarne l'histoire et la tradition de la Nouvelle-Orléans dans les années 1800! Sans bien sûr oublié la marque Eagle Rare, avec sa palette aromatique d’une rare intensité pour un whiskey du Kentucky.
Au Comptoir Irlandais, cette alliance d’histoire, d’innovation et de passion trouve un écho naturel chez nous. Nous mettons en avant les single barrels et les éditions limitées, véritables passerelles entre le patrimoine bourbon américain et la curiosité des amateurs européens.
Jack Daniel’s
Jack Daniel’s est une distillerie devenue mythe. Fondée officiellement en 1866 à Lynchburg, Tennessee, par Jasper Newton “Jack” Daniel, elle est reconnue comme la première distillerie enregistrée des États-Unis. Pourtant, l’histoire commence plus tôt, lorsque Jack, encore adolescent, apprend l’art de la distillation auprès de Nathan “Nearest” Green, un maître distillateur afro-américain dont le rôle a longtemps été occulté. C’est lui qui lui transmet le fameux Lincoln County Process, une filtration au charbon de bois d’érable qui adoucit le whiskey avant son vieillissement en fûts.
Après Jack, c’est son neveu Lem Motlow qui prend les rênes. Il guide la distillerie à travers la Prohibition et la Seconde Guerre mondiale, réussissant à relancer l’activité en 1938. Sous son impulsion, l’entreprise devient un acteur majeur du Tennessee whiskey, style distinct du bourbon par cette filtration au charbon qui lui confère un profil plus rond et fumé.
Jack Daniel’s s’appuie sur des éléments techniques immuables : l’eau de la Cave Spring, naturellement pure et sans fer, les fûts de chêne américain fabriqués sur place dans une tonnellerie ouverte en 2014, et la constance d’un savoir-faire transmis de génération en génération. L’association de tradition artisanale et de production à grande échelle a permis d’en faire le whiskey le plus vendu au monde.
Le décor ajoute au charme : Lynchburg est une petite ville paisible inscrite au National Register of Historic Places. Ironie du sort, le comté est “dry” : on y produit du whiskey, mais sa vente locale reste interdite. Cela n’empêche pas 300 000 visiteurs de venir chaque année découvrir ce haut lieu culturel et touristique.
On raconte que Jack Daniel serait mort des suites d’une blessure au pied après avoir donné un coup de colère dans son coffre-fort. Quant au mystérieux “Old No. 7”, personne ne sait avec certitude ce qu’il désigne : peut-être son numéro d’enregistrement fiscal, peut-être un simple clin d’œil personnel. Devant la source, une statue humoristique de Jack “On the Rocks” entretient l’esprit bon vivant de la maison.
La gamme reflète l’étendue de son rayonnement. Old No. 7, reconnaissable à sa bouteille carrée et son étiquette noire, est devenu un symbole planétaire. Gentleman Jack, plus doux grâce à une double filtration, ou Single Barrel, plus riche en caractère, séduisent les connaisseurs. Des éditions limitées comme Masters Distillers ou les séries Gold montrent la capacité de la marque à se réinventer, tandis que des collaborations inattendues, comme avec McLaren en 2023, renforcent son statut iconique.
Au Comptoir Irlandais, Jack Daniel’s mérite sa place. Il représente à la fois une porte d’entrée accessible dans l’univers du whiskey américain et une passerelle vers des expressions plus pointues. Derrière chaque bouteille se trouvent un terroir, une tradition qui font de Jack Daniel’s un classique éternel, fédérateur et universel.
Qu’elles soient anciennes ou récentes, légendaires ou avant-gardistes, toutes ces distilleries américaines ont un point commun : elles reposent sur une ressource unique, le chêne blanc américain (Quercus alba). C’est lui qui donne au bourbon sa personnalité, puisque la loi impose l’usage exclusif de fûts neufs / fortement bousinés.
Mais son rôle va bien au-delà des frontières des États-Unis : après leur première vie dans le Kentucky ou le Vermont, ces barriques traversent les océans pour vieillir des scotchs en Écosse, des rums en Caraïbes, du cognac en France, de la tequila au Mexique, voire même des whiskies japonais ou indiens. Chaque fût est une pièce d’histoire recyclée, qui transporte un peu d’Amérique dans chaque gorgée du monde entier.
Pourquoi cette universalité ? Parce que le chêne américain est riche en lactones (notes de coco et de vanille) et en tanins doux, qui apportent rondeur et chaleur. Le bousinage libère aussi des arômes de caramel et de cacao. Résultat : une identité sensorielle puissante qui se marie aussi bien au seigle épicé du Vermont qu’à la canne martiniquaise ou à l’orge écossais.
Derrière chaque bouteille de bourbon ou de rye, il y a donc une dimension écologique et économique : une industrie forestière durable, des tonnelleries spécialisées et un commerce international du bois qui façonne l’univers des spiritueux.
En somme, le chêne américain est bien plus qu’un contenant : c’est le dénominateur commun de la planète whisky (et de ses cousins), le lien invisible entre Loretto, Dublin, Cognac, Tokyo ou la Martinique.
Rédigé par Philomène B.