Interview d'Emmanuel Jumeau-Lafond, Tea manager chez Dammann Frères

12/01/2023

Dammann Frères, maison française reconnue pour ses thés d'exception, est née en 1925 avec les frères Robert et Pierre Dammann. Depuis l'arrivée de Jean Jumeau-Lafond dans la société en 1949, passion et savoir-faire se transmettent de génération en génération. Aujourd'hui, c'est Emmanuel Jumeau-Lafond, petit-fils de Jean, qui nous livre tous les secrets du métier de Tea Blender et des thés Dammann.

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre travail ? En quoi consiste le métier de Tea Blender ?

Je suis Emmanuel Jumeau-Lafond, 3ème génération de la famille. J'ai appris le métier du thé avec mon père ; il n'existe plus d'université ou d'école du thé, donc il s'agit de passation, de transmission. J'ai véritablement commencé mon aventure avec Dammann en 1996, juste après l'armée, lors de stages l'été avec l'école de commerce, en France ou en Angleterre. J'ai tout appris avec mon père qui a éduqué mon palais à travers des dégustations quotidiennes pendant environ 10 ans, afin que je commence ensuite à acheter moi-même.

Il faut alors passer par deux fondamentaux : l'achat et le blend (le mélange). J'achète les thés selon nos besoins (principalement en Asie du Sud-Est) et je fais également des assemblages et des mélanges, un peu comme pour le café ou le vin. J'assemble donc différents lots en fonction des mélanges nécessaires pour la production ici à Dreux, parfois de la même région ou du même pays, parfois de pays différents, de façon à avoir une constance aromatique, afin que le client, quand il achète du Darjeeling ou du Ceylan, ait l'impression d'avoir toujours le même thé tout au long de l'année. C'est donc mon père qui m'a transmis ce deuxième aspect du travail tout au long de mon apprentissage. Lui-même l'avait appris par son père, Jean Jumeau-Lafond, la personne qui a rencontré les frères Dammann juste après la Seconde Guerre mondiale et appris le métier du thé avec eux avant de racheter la société.

Emmanuel Jumeau-Lafond

Emmanuel Jumeau-Lafond

Crédit photo : Dammann Frères

Qu'est-ce qui distingue Dammann des autres maisons de thé ?

Même si nous sommes régis par de nombreuses règles depuis quelques années (la société Dammann a une certification IFS depuis 2012), nous avons toujours ce contact avec le pays, avec le produit et avec les producteurs. Cette culture est totalement à part. Ce qui différencie également Dammann est le fait que nous proposons quelque chose de bien plus qualitatif que ce que l'on peut trouver dans le commerce, avec aussi une histoire derrière. Lorsque mon grand-père a racheté la société, les premières grandes enseignes commençaient à ouvrir leurs magasins et à vendre du thé en sachet papier. A l'époque, mon grand-père a décidé de se démarquer en proposant de la vente de thé en vrac. Aujourd'hui, tout ce qui est proposé dans la grande distribution est en sachet papier CTC, c'est un thé en poudre qui est utilisé dans le processus de fabrication alors que nous, nous sommes sur de l'orthodoxe, et c'est ce côté qualitatif qui nous différencie des autres sociétés.

Et c'est également vous qui avez commencé à commercialiser les sachets Cristal, c'est bien ça ?

On doit l'invention des sachets Cristal à mon oncle, Didier Jumeau-Lafond. Lors d'une foire du thé au Japon, il a rencontré un professeur qui lui, inversement, essayait d'amener les Japonais à consommer du café et ce d'une façon assez ludique, en mettant des grains de café dans un voile de nylon. Mon oncle a donc voulu appliquer ce processus au thé et, dès 1990, nous avons commencé à importer les premières machines et depuis, nous ne proposons que ces sachets Cristal en amidon de maïs. Nous avons été les premiers à l'importer sur le sachet mondial et à démontrer qu'il était possible de retrouver la qualité d'un thé en vrac avec la praticité d'un sachet. On peut voir le produit à travers, l'infusion est meilleure et cela permet de libérer pleinement les arômes.

Jacques et Didier Jumeau-Lafond

Jacques et Didier Jumeau-Lafond

Crédit photo : Dammann Frères

Comment naît un thé Dammann ? Quel est le processus de la création à la mise en vente ?

Tout passe en interne par un comité de développement, en fonction du marketing, de la direction et de notre développeuse des thés aromatisés, Tiphaine Boucleinville-Cardona, qui a succédé à Aline Guglielmino-Taillefer, partie à la retraite après 20 ans de bons et loyaux services. Il y a donc une revue qui est faite : nous nous retrouvons à une vingtaine pour discuter de ce que l'on aimerait essayer de développer, puis nous voyons ce qui est faisable ou pas en fonction des arômes et des thés.

Ensuite, un développement se fait en interne avec notre comité de dégustation et de développement et, en fonction de ce que l'aromaticienne a comme prérequis, elle va faire des premiers mélanges d'arômes et de thés. En effet, un arôme ne réagira pas pareil en fonction de la base de thé sur laquelle on le met, ce qui explique pourquoi certains thés de notre catalogue requièrent une base de thé de Chine, d'Inde ou encore d'Afrique, suivant l'arôme qui lui est associé. L'aromaticienne va donc faire des essais, des mélanges dans son laboratoire, puis le comité de dégustation se réunit pour déguster et échanger.

L'aromaticienne va ensuite valider, modifier ou refuser telle ou telle proposition. On peut se retrouver avec des thés qui ont eu 30 ou 40 versions avant que le mélange final soit validé par tout le monde ! Il faut savoir que, chez Dammann, nous tenons absolument à retrouver un équilibre entre thé et arômes, nous ne voulons pas proposer seulement des arômes dans de l'eau chaude.

Une fois la proposition validée, le thé ou l'infusion est lancé(e) dans le catalogue et si le produit se vend bien, nous le dupliquons en sachet, en boîte fer ou en coffret, selon l'écho qu'il y a auprès des consommateurs.

Tiphaine Boucleinville-Cardona, aromaticienne

Tiphaine Boucleinville-Cardona

Crédit photo : Dammann Frères

Si vous deviez choisir un thé Dammann, lequel serait-ce ?

C'est une question très subjective ! Tout dépend des périodes, le matin je suis plutôt sur des thés classiques que je bois avec du lait : avec des thés très corsés, c'est très agréable de rajouter un peu de lait. J'aime particulièrement les thés classiques, comme le Darjeeling, et en milieu ou fin d'après-midi, j'aime bien me faire un thé aromatisé ou une tisane. Je reste un grand fervent du Christmas Tea (thé de Noël) qui a été créé par mon père ou encore de la tisane de Noël que j'apprécie énormément.

Je suis assez ouvert, tous les jours, je déguste les thés du catalogue avec mes collègues, cela nous permet d'échanger ensuite dessus, en variant thés classiques et aromatisés, de façon à ce que le palais ne s'habitue pas à un seul arôme. Cela permet aussi de découvrir des choses que l'on n'aurait pas dégusté par soi-même.

Quel thé conseilleriez-vous à un néophyte ? Et à un connaisseur ?

Tout dépend de sa démarche initiale : par exemple, s'il s'agit d'une personne qui veut arrêter le café pour passer au thé, on peut lui proposer des thés corsés qu'il pourra boire sans lait de façon à ce qu'elle retrouve le "kick" que l'on peut avoir avec le café. Après, on le voit beaucoup de nos jours, les gens qui se mettent au thé commencent toujours par le thé aromatisé car ils connaissent les arômes qui le composent. Si je vous propose un thé à la vanille, au caramel ou aux fruits rouges, vous savez de quoi je parle. Cela permet d'amener les gens à faire un pas vers le milieu des thés Dammann et, au fur et à mesure, si la personne accroche, on peut lui faire découvrir tout l'univers, lui faire déguster les bases de thé et finalement le former par la dégustation. En résumé, tout dépend de la démarche du consommateur.

En tous cas, pour les néophytes, on partira généralement sur des thés aromatisés en restant sur des grands classiques : agrumes, fruits du verger, fruits rouges ou noirs… Il est important "d'éduquer" le consommateur qui finalement, part de zéro. Il faut savoir que les Français consomment en moyenne 200g de thé par an et par habitant contre 3kg pour les Anglais !

Quant à un connaisseur, on le dirigera forcément vers des thés non aromatisés, qu'il s'agisse de classiques ou des grands crus. Il est important de prendre le temps de comprendre ce que la personne apprécie, que ce soit au niveau du thé mais aussi de l'œnologie (car il y a plein de parallèles entre les deux), afin finalement d'amener le consommateur à donner lui-même la réponse. Il est important de retenir que ce que le connaisseur recherche, c'est avant tout de comprendre la base, de ressentir les arômes du thé.

Thé Dammann

 Nos thés Dammann Frères

 Article rédigé par Camille L.

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