Interviews des écrivains irlandais Tadhg Mac Dhonnagain et Neil Hegarty

08/07/2022

À l'occasion du Salon international du livre insulaire qui se tiendra prochainement à Ouessant, nous avons interrogé Tadgh Mac Dhonnagain, président du Salon, et Neil Hogarty, en résidence d'écrivains au sémaphore. Tadhg Mac Dhonnagain, écrivain, éditeur et musicien irlandais présidera cette 23ème édition qui aura lieu du 13 au 16 juillet prochain. Neil Hegarty, également écrivain, est actuellement en résidence au sémaphore d'Ouessant afin de préparer son prochain roman. Tous deux nous ont parlé de leurs livres passés et à venir, de leurs puissants liens avec l'Irlande et de leur métier-passion d'écrivain.

Interview de Tadhg Mac Dhonnagain

Tadgh Mac Dhonnagain

Comment conciliez-vous vos différentes casquettes d'écrivain, de musicien et d'éditeur ? L'une prend-elle le pas sur l'autre ?

Pour ce qui est de ma vie artistique, je me considère actuellement plus comme un écrivain que comme un musicien. Je chante et je joue régulièrement de la musique avec mes amis ici au Connemara, mais il s'agit plus d'un loisir, je ne gagne pas ma vie grâce à la musique.

Concilier mon travail d'écrivain et d'éditeur peut parfois être difficile : les deux sont importants à mes yeux, mais j'aspire par-dessus tout à écrire. J'ai pour projet à court terme de m'impliquer de moins en moins dans l'édition pour me concentrer sur l'écriture.

Quel aspect de votre métier d'écrivain vous plaît le plus ?

Écrire est ce que je préfère mais j'adore aussi présenter mon travail aux lecteurs, qu'il s'agisse d'adultes ou d'enfants (car j'écris aussi pour les enfants).

De quelle réalisation êtes-vous le plus fier ?

Mis à part être papa et élever quatre merveilleux petits humains, ça a été un immense bonheur pour moi quand Madame Lazare a obtenu une mention spéciale pour le Prix de Littérature de l'Union Européenne cette année.

Qu'est-ce qui vous guide lorsque vous écrivez ?

Je pense que je suis surtout un raconteur d'histoire. Quand j'écris, je cherche à créer des histoires qui ont une résonance émotionnelle, des personnages irlandais dont les vies sont d'une certaine façon ancrées en Irlande mais ouvertes sur le monde.

Pourriez-vous nous parler de votre livre Madame Lazare ?

C'est l'histoire de deux femmes : Levana, 25 ans, qui a grandi au sein d'une communauté juive à Paris, et sa grand-mère, Hana Lazare, qui a élevé Levana. L'histoire de Hana est tragique : née en Estonie, elle a fui sa patrie en guerre lorsqu'elle était jeune fille, seule membre de sa famille à avoir survécu à la Shoah. Hana n'a jamais aimé parler de son enfance, de sa famille et de ce qui lui est arrivé. Mais avec l'âge, elle commence à ne plus avoir toute sa tête et à dire des choses qui perturbent sa petite-fille. Avec le temps, Levana réalise que tout ce que sa grand-mère lui a raconté sur son passé est faux. Le récit fait des bonds dans le temps, ce qui nous permet de découvrir la vraie histoire de Madame Lazare, sur une île au large de la côte ouest de l'Irlande.

Madame Lazare

La langue irlandaise est définitivement chère à votre cœur, quel est son avenir selon vous ?

L'Irlandais continuera d'être parlé et chéri en Irlande et ailleurs pendant encore de nombreuses années. Il va évoluer car les régions où bat le cœur de la langue irlandaise, comme le Connemara où j'habite, sont de plus en plus sous la pression de l'Anglais dans la culture digitale et mondialisée d'aujourd'hui. Mais culturellement, la langue irlandaise occupe une place de plus en plus importante dans la vie en Irlande : nos Gaelscoileanna, l'équivalent des écoles bretonnes Diwan, rencontrent un grand succès, et de nouvelles écoles ouvrent sans cesse. Cette année, l'Irlandais a obtenu le statut de langue officielle de l'Union européenne. Les films en Irlandais s'avèrent très appréciés - la musique traditionnelle, l'édition de livres en Irlandais ainsi que le rôle très central des sports gaéliques dans la vie de la nation sont autant d'éléments culturels qui nous donnent du sens et nous permettent d'exister en tant que peuple à part. Le fait que nous ayons notre propre langue contribue grandement à ce ressenti. Bien que peu de personnes le parlent au quotidien, les Irlandais ont une grande affection pour cette langue et nombre d'entre eux encouragent sa promotion. La situation en Irlande du Nord est plus compliquée, un peu comme pour le Breton en Bretagne, mais elle y est bien plus politisée, d'une manière très complexe. Mais les choses s'améliorent au nord de la frontière : le dynamisme de la communauté irlandophone de Belfast est particulièrement impressionnant.

Etes-vous déjà venu à Ouessant ? Que ressentez-vous en vous apprêtant à y poser le pied ?

J'y suis déjà venu une fois, il y a de nombreuses années. Ce sera formidable de revenir. J'ai entendu parler du Salon du Livre et je suis heureux d'en découvrir plus sur celui-ci. Je m'intéresse depuis très longtemps à la Bretagne, à sa langue et particulièrement à ses chansons et j'ai beaucoup d'amis là-bas, donc c'est toujours un plaisir de rendre visite à nos cousins celtes !

Comment imaginez-vous ce Salon ?

J'adore le format du Salon du Livre, qui est à la fois une foire aux livres, une opportunité pour les écrivains et les lecteurs de se rencontrer, le tout rythmé par des évènements autour d'un même thème. Nous avons beaucoup de festivals littéraires en Irlande, mais le format n'est jamais le même que celui du Salon du Livre. En résumé, j'ai hâte d'y être !

Interview de Neil Hegarty

Neil Hogarty

Vous avez écrit tout autant des nouvelles, des guides, des essais que des romans de fiction et des ouvrages documentaires. Que préférez-vous ? Est-ce important pour vous de donner une fonction didactique à vos écrits ?

J'aime tout autant écrire des romans de fiction que des documentaires, et je trouve qu'écrire un type d'ouvrage aide à écrire l'autre. Par exemple, le fait de connaître et de s'intéresser à l'histoire peut contribuer à enrichir la fiction : en créant du contexte, en lui donnant de la consistance, en fournissant toutes sortes d'éléments participant au développement du récit. Et bien sûr, c'est toujours une bonne chose pour un écrivain de s'essayer à toutes sortes d'exercices : écrire une nouvelle n'a rien à voir avec écrire un roman ! La première exige de la concision, de la discipline et de l'implication. Ainsi, le cadre dans lequel on écrit un roman paraît presque luxueux en comparaison.

Quel thème est le plus cher à votre cœur d'écrivain ?

Je m'intéresse beaucoup aux dynamiques familiales : la façon dont les familles fonctionnent, comment les gens se comportent au sein d'une famille et ce qui se passe quand des conflits surgissent. Il s'agit d'un thème central dans la fiction irlandaise bien sûr, la famille est une source infinie de drames et d'intrigues. Je m'intéresse également beaucoup à l'impact qu'a le passé sur le présent, et notamment à la façon dont notre comportement et nos actes passés influent sur le présent. Le passé n'est en fait jamais réellement du passé !

Parlez-nous de votre dernier roman, "The Jewel", qui a suscité un fort engouement auprès de la critique.

"The Jewel" raconte l'histoire d'un tableau, de sa création à son vol, et comment cette peinture va se retrouver au carrefour des vies de trois personnages complètement différents en Angleterre et en Irlande. L'idée m'est venue alors que je visitais une exposition sur Caravaggio à la Galerie Nationale d'Irlande : en mûrissant, cette idée est devenue un roman qui traite de la présence du passé dans nos vies, comment nous sommes sans cesse poursuivis par les fantômes du passé… et comment leur échapper.

The Jewel

L'Irlande semble avoir une place très importante dans vos écrits. Pourquoi ? Quel message cherchez-vous à faire passer ?

L'Irlande est en constant changement, et ce changement n'a jamais été plus évident que lors des dernières décennies, ce qui est déjà une histoire fascinante en soi. Ayant été élevé en Irlande du Nord et vivant désormais en République d'Irlande, j'ai eu un aperçu de nombreux aspects de l'histoire de l'Irlande, et il y a beaucoup d'histoires que j'aimerais raconter à propos de mes aventures irlandaises. Et j'ai eu de la chance : j'ai pu explorer l'Irlande à la fois dans mes romans de fiction et dans mes ouvrages documentaires. Ça a été absolument fascinant d'écrire "The Story of Ireland" (l'histoire de l'Irlande en français) : je croyais que j'en savais beaucoup sur elle, mais j'ai vite compris qu'il y avait beaucoup plus à raconter.

Votre premier roman, "Inch Levels", tire son nom de l'île irlandaise d'Inch. Les îles, au cœur de la thématique de ce Salon, vous inspirent-elles particulièrement ?

J'ai toujours vécu sur la côte irlandaise : j'ai grandi dans le Derry, j'ai passé beaucoup de temps dans le Donegal et maintenant j'habite à Dublin, rien que des endroits en bord de mer ! Je m'intéresse à la façon dont de tels paysages peuvent influencer nos vies et modifier notre façon de penser : cette thématique est d'ailleurs au cœur d'"Inch Levels", qui sera publié en français en Octobre sous le titre "La surface de l'eau".

Et aujourd'hui, à l'ère du changement climatique et de la montée du niveau des océans, je m'interroge tout particulièrement sur la nature des relations que nous entretiendrons avec la mer. Les communautés de pêcheurs l'ont toujours su et nous devrons tous le comprendre : nous pouvons aimer la mer, mais nous devons également la respecter et la craindre.

Qu'attendiez-vous de votre séjour au sein du sémaphore ? Qu'est-ce qui a déclenché votre venue ?

Je m'attendais à une vue sur l'océan et sur l'île, à l'air pur, et à un sentiment général de bien-être… et je n'ai absolument pas été déçu. Le sémaphore, avec son incroyable salle de travail et sa magnifique lumière, est un endroit parfait pour réfléchir et travailler. Le cadre m'intriguait : le bâtiment en lui-même, son histoire et sa nouvelle vie en tant que refuge pour écrivains. J'aime la façon dont ce bâtiment, avec son passé de "signal", est aujourd'hui devenu une métaphore, le symbole d'un endroit sûr et propice au travail de l'artiste.

Article rédigé par Camille L.

 

 

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