Journal de bord d'une passionnée de (whisky) 2025 - Episode 6

01/08/2025

Amatrice de spiritueux et conseillère au Comptoir Irlandais, je vous retrouve chaque début de mois pour un voyage sensoriel à travers les plus belles distilleries. Une escale immanquable pour les curieux et passionnés, qu’ils soient amateurs de tourbe ou d’esprits tropicaux !

Vous me connaissez peut-être pour mes récits sur les sherry bombs, les single malts tourbés, et autres merveilles écossaises… Mais cet été, j’ai eu envie d’ouvrir une fenêtre vers le soleil : cap sur la Martinique, sa canne fraîchement coupée… et surtout, son rhum agricole AOC, l’un des plus beaux joyaux du monde des spiritueux.

Et quelle meilleure escale que la distillerie Saint James, nichée à Sainte-Marie, sur la côte Atlantique ? Plus qu’un nom, c’est une institution vivante, un musée à ciel ouvert, un lieu où l’on peut littéralement goûter l’Histoire au fût.

Episode 6 : Saint James : rhum d’histoire, rhum de cœur 

Quand la tradition martiniquaise se savoure avec passion

Une visite inoubliable

Et cette fois-ci, c'est notre acheteur boisson Laurent, qui a eu la chance de visiter la distillerie Saint James en mars 2024. Une expérience incroyable qu’il nous a racontée avec des étoiles dans les yeux et des clichés à couper le souffle ! 
Dégustations au fût, dans les chais de Sainte-Marie : une immersion rare et inédite, réservée à quelques chanceux. Le genre de moment où l’on comprend, au-delà des mots, ce qu’est un rhum vivant, enraciné, généreux.

Une histoire aussi riche que complexe

Tout commence en 1765, lorsque le Père Edmond Lefébure, supérieur du couvent des Frères de la Charité, fonde une habitation sucrière appelée Trou Vaillant, près de Saint-Pierre. Il y produit un alcool de canne destiné à l’export vers les colonies britanniques d’Amérique. C’est pour cela que le nom choisi fut anglophone : Saint James.

La distillerie vit des hauts et des bas, connaît l’essor sucrier, l’esclavage, l’abolition, les révoltes, et en 1902, elle est miraculeusement épargnée par l’éruption de la Montagne Pelée qui détruit Saint-Pierre.

En 1974, elle déménage définitivement à Sainte-Marie. Entre-temps, elle dépose en 1882 son emblématique bouteille carrée, conçue pour éviter qu’elle ne roule dans les cales des navires.

Et si vous êtes un amateur d’histoire liquide, sachez que Saint James possède encore une bouteille d’époque, datée de 1885. Conservée précieusement sur place, elle est la plus vieille bouteille de rhum agricole connue à ce jour. Une pièce de musée, mais bien réelle. Preuve tangible que cette maison incarne plus de deux siècles de mémoire martiniquaise.

Une pionnière reconnue

Saint James est la première marque de rhum à avoir commercialisé un rhum millésimé, bien avant que cela ne devienne la norme dans les spiritueux.

Elle a remporté de nombreuses médailles au Concours Général Agricole de Paris, aux Rhum Fest Awards, et a su séduire des experts internationaux comme Luca Gargano ou les panels de l’IWSC.

Des figures clés 

Luca Gargano, marque d'une ultime qualité et personne sur qui je pense écrire un article à part entière. Figure incontournable dans l’univers du rhum. Fondateur et directeur général de la maison italienne Velier, il est reconnu pour sa passion inébranlable et son rôle de pionnier dans la valorisation des rhums rares et d’exception. Depuis les années 1970, il consacre sa vie à la découverte et à la promotion de spiritueux authentiques, notamment à travers son travail avec des distilleries légendaires (Caroni, Hampden...)

À seulement 18 ans, il devient ambassadeur de la marque Saint James, une expérience fondatrice qui le plonge au cœur de la culture du rhum agricole caribéen. En 1983, il rachète Velier et transforme cette petite entreprise familiale en un acteur mondial incontournable, spécialisé dans la sélection et la distribution de rhums artisanaux de qualité supérieure. Grâce à ses collaborations exclusives, il a redéfini les codes du marché, attirant l’attention des collectionneurs et des passionnés du monde entier.

Gargano est également à l’origine d’une classification rigoureuse des rhums, visant à distinguer ceux d’exception selon leur méthode de distillation, leur provenance et leur authenticité. Sa collection personnelle, l’une des plus vastes au monde, compte plus de 40 000 bouteilles, dont certaines sont des pièces historiques datant du XIXe siècle.

Au-delà de son rôle de collectionneur, Luca Gargano est un véritable ambassadeur du rhum authentique. Il met en lumière les savoir-faire artisanaux, encourage une consommation responsable et œuvre à préserver les traditions qui font la richesse et la diversité de ce spiritueux fascinant.

Paulin Lambert, négociant marseillais du XIXe siècle
En 1882, il acquiert l’habitation « Trou Vaillant » en Martinique et dépose la marque « Rhum des Plantations Saint-James » ainsi que la célèbre bouteille carrée. Sous sa direction, Saint James devient une référence incontournable du rhum agricole, avec une production exportée vers l’Europe, notamment via Marseille, Bordeaux et Le Havre.

Marc Sassier : le gardien passionné de l’authenticité martiniquaise
Œnologue de formation, Marc Sassier incarne depuis 2003 l’expertise technique et la vision moderne qui font rayonner Saint James au-delà des frontières. En tant que maître de chai et président du Syndicat de l’AOC Rhum de la Martinique, il joue un rôle clé dans la défense et la promotion du rhum agricole, ce joyau du patrimoine martiniquais.

Son engagement va bien au-delà de la simple gestion des processus de fermentation, distillation et vieillissement. Marc Sassier est un véritable ambassadeur de la tradition tout en étant un fervent innovateur. Sous sa direction, la distillerie a su conjuguer savoir-faire ancestral et techniques contemporaines pour offrir des rhums à la fois fidèles à leur terroir et adaptés aux attentes des marchés internationaux.

Il est également une voix influente dans les débats autour des critères de l’AOC, veillant à ce que chaque bouteille respecte scrupuleusement les normes strictes de qualité et d’origine. Grâce à lui, Saint James reste un étendard de l’excellence martiniquaise. J’ai eu la chance de rencontrer Marc Sassier à plusieurs reprises : humble, d’une grande gentillesse, le cœur sur la main, il est aussi hyper accessible et adore partager sa passion. Toujours prêt à répondre aux questions, il transmet avec enthousiasme son amour du rhum agricole et de la Martinique.

L’AOC Martinique : un trésor à défendre

Peu de gens le savent, mais la Martinique est la seule région au monde à produire un rhum AOC. Ce label, obtenu en 1996, impose un cahier des charges d'une rigueur extrême : variétés de canne autorisées, délais de fermentation, types de sol, distillation, vieillissement, traçabilité…

Or, ce joyau est aujourd’hui menacé par la remise en question des droits réduits.
Ces droits, en clair, permettent aux producteurs ultramarins de payer moins de taxes sur l’alcool. Une compensation légitime, vu les coûts logistiques et insulaires.
Mais cette mesure est remise en cause au niveau européen : si elle disparaît, la compétitivité du rhum martiniquais — artisanal, saisonnier et coûteux — s’effondrera face à des rhums de mélasse moins réglementés.

Soutenir Saint James, c’est donc soutenir l’agriculture martiniquaise, la biodiversité, l’excellence artisanale, et la survie d’un modèle unique au monde.

Technique, terroir et tradition

Saint James incarne pleinement l’essence du rhum agricole AOC, élaboré exclusivement à partir de jus frais de canne à sucre (le vesou) et non de mélasse, garantissant une pureté et une expression aromatique uniques.

La fermentation, courte et maîtrisée (entre 24 et 36 heures), se déroule en cuves inox, préservant la fraîcheur des arômes. La distillation s’effectue ensuite dans une colonne créole en cuivre, selon la méthode continue traditionnelle du rhum agricole, qui permet de capter avec précision la finesse et la complexité du jus.

Le vieillissement s’opère en fûts de chêne soigneusement sélectionnés, français ou américains, dont certains sont d’anciens fûts de bourbon ou chauffés pour révéler des notes boisées subtiles. Sous l’effet du climat tropical, les échanges entre bois et rhum sont accélérés, offrant des profils riches et expressifs.

La distillerie s’appuie sur une surface agricole généreuse de plus de 300 hectares, situés à Sainte-Marie, où sont cultivées des variétés traditionnelles telles que la canne bleue ou la canne rouge, témoins d’un patrimoine agricole vivant.

Enfin, Saint James s’engage résolument dans une démarche durable : valorisation de la bagasse (le reste de la canne à sucre après extraction du jus), retraitement des eaux usées et adoption de pratiques énergétiques respectueuses de l’environnement soulignent la volonté de la maison de préserver son terroir pour les générations futures.

De la canne au fût 

Chez Saint James, tout commence dans les champs : la canne à sucre est récoltée à maturité, puis pressée dans les 24 heures pour en extraire un pur jus frais, appelé vesou. Cette matière première vivante est ensuite fermentée sans délai, afin de préserver toute sa fraîcheur et ses arômes végétaux typiques.

Contrairement aux rhums industriels à base de mélasse, Saint James produit exclusivement du rhum agricole en conformité avec l’AOC Martinique, qui impose l’usage de jus de canne frais et des procédés strictement encadrés.

Une distillation en colonne créole

La distillation s’effectue dans de hautes colonnes créoles, en cuivre et en inox. Ce type d’alambic, emblématique des rhums agricoles antillais, permet une distillation continue à la fois précise et expressive. Il en résulte un rhum entre 65 et 74 % vol., riche en esters, sec, structuré et typé.

Ce mode de distillation met en valeur le terroir martiniquais et la typicité de la canne, avec des notes végétales, florales, parfois même iodées selon les parcelles.

Un vieillissement tropical intense

Les rhums vieux de Saint James sont ensuite entreposés dans des chais de vieillissement en climat tropical, sur le site même de la distillerie à Sainte-Marie. Là, la chaleur et l’humidité accélèrent l’interaction entre le bois et le rhum, favorisant une maturation rapide mais intense. L’évaporation annuelle peut atteindre 8 à 10 % : c’est ce qu’on appelle la part des anges.

Plusieurs types de fûts sont utilisés :

  • Fûts de bourbon (chêne américain) pour des notes vanillées

  • Fûts de chêne français (type Limousin) pour une structure tannique, des épices et de la profondeur

  • Parfois des fûts de vin rouge, de porto ou de xérès pour des éditions limitées plus originales

Ce vieillissement sous les tropiques donne aux rhums Saint James une concentration remarquable, une texture veloutée et une complexité aromatique qui rivalise avec les plus grands spiritueux de dégustation.

Petite boussole pour naviguer dans le monde du rhum

Vous avez déjà vu passer ces abréviations intrigantes sur les bouteilles de rhum ? Voici quelques clés, sans jargon ni prise de tête :

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi certains rhums s’écrivent rum, d’autres ron ou rhum ? Et que signifient tous ces sigles mystérieux sur les étiquettes : VO, XO, VSOP… ?

Rhum, rum ou ron ?

  • Rhum : c’est la version francophone, comme en Martinique ou en Guadeloupe, où on distille le jus frais de la canne à sucre. Résultat : un profil aromatique intense, végétal, parfois poivré : on parle de rhum agricole.

  • Rum : en Jamaïque, à la Barbade ou en Guyane britannique, on utilise plutôt la mélasse, sous-produit du sucre, pour des rhums souvent plus lourds, exotiques, profonds.

  • Ron : du côté de Cuba ou du Venezuela, même base que le rum, mais avec une fermentation plus courte et un style tout en douceur, parfois sucré, très accessible.

Et les mentions de vieillissement ?

Si vous voyez V.O., V.S.O.P., ou X.O. sur une bouteille martiniquaise, c’est du sérieux ! Ces sigles, inspirés du cognac, indiquent l’âge minimum du rhum vieilli en fût :

  • V.O. : au moins 3 ans

  • V.S.O.P. : au moins 4 ans

  • X.O. ou Hors d’âge : 6 ans et plus

Et quand on parle de millésime, c’est que tout provient d’une seule récolte et d’un seul vieillissement → à savourer comme un grand cru 

Un ancrage géographique fort

La distillerie Saint James est profondément enracinée sur un terroir volcanique unique, situé en bordure de l’océan Atlantique, sur la côte nord-est de la Martinique.

Ce cadre naturel exceptionnel joue un rôle fondamental dans le caractère et la qualité de ses rhums. Le sol volcanique, riche en minéraux, nourrit des cannes robustes et aromatiques. L’influence de la Montagne Pelée, majestueuse et omniprésente, ne se limite pas à l’histoire dramatique de l’île : elle façonne littéralement la terre.

Un petit matin sur les hauteurs de Sainte-Marie, c’est la promesse d’un lever de soleil sur la canne encore humide, avec en toile de fond le cône parfait de la Pelée et les reflets dorés de l’Atlantique. L’air est vif, la lumière franche. Et c’est dans ce décor que naissent les grands rhums.

Le climat est également décisif : la chaleur constante et modérée permet une maturation lente et régulière des cannes, tandis que les alizés marins ventilent naturellement les chais, accélérant les échanges entre le bois et le rhum. Le vieillissement tropical fait ici toute la différence.

Une gamme riche : du quotidien aux collectors

Classiques :

  • Saint James Blanc coeur de canne : vif, nerveux, parfait pour le ti’punch.

  • Royal Ambré : rhum élevé sous bois, souple et vanillé.

  • V.O., V.S.O.P., X.O. : une montée en gamme vers des rhums ronds, boisés, patinés par les années.

Prestige :


Saint James & Le Comptoir Irlandais : une histoire de confiance

Depuis des années, Le Comptoir Irlandais propose les rhums Saint James avec constance. Certaines cuvées millésimées ont été exclusivement disponibles dans nos rayons, et la gamme classique y occupe toujours une belle place, preuve de la confiance entre cavistes exigeants et grande maison rhumière.

Ce partenariat repose sur des valeurs communes : qualité, transparence, passion du produit bien fait. Retrouverez chez nous des cuvées inédites issues de la distillerie Saint James.


Bonus : deux recettes pour voyager dans votre verre

Ti’punch traditionnel

Ingrédients :

  • 5 cl de rhum blanc Saint James

  • 1 petit quartier de citron vert

  • 1 cuillère à café de sucre de canne roux ou sirop de canne

Préparation :
Dans un petit verre, pressez le citron, ajoutez le sucre, puis versez le rhum. Remuez avec une cuillère en bois (ou une petite branche de canne si vous êtes chanceux). Dégustez sans glaçon, lentement, à l’ombre d’un figuier pays.

Pas besoin d’en faire trop : le ti’punch, c’est la simplicité incarnée. "Chacun prépare son ti’punch à son goût" — c’est aussi une philosophie.


Mojito au rhum agricole

Ingrédients :

  • 5 cl de Saint James XV

  • 2 cuillères à café de sucre de canne

  • 6 à 8 feuilles de menthe fraîche

  • 1/2 citron vert

  • Glaçons ou glace pilée

  • Eau gazeuse

Préparation :
Pilez le citron, le sucre et la menthe dans un verre. Ajoutez le rhum, complétez de glace pilée, puis un trait d’eau gazeuse. Mélangez doucement… et savourez.

Le rhum agricole apporte une tension végétale et poivrée qui donne au mojito une personnalité inimitable 

Saint James, c’est bien plus qu’un rhum. C’est une invitation à sentir la canne fraîchement coupée, à entendre les oiseaux au lever du jour sur les plantations, à goûter les embruns dans un rhum vieux plein de caractère. C’est un peu de Martinique que l’on débouche. Et si vous écoutez bien, vous entendrez peut-être les tam-tams au loin...

Rédigé par Philomène B.

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